L’art de la résilience : Quoi faire lorsque tout s’effondre ?

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Quoi faire tandis que tout coule - Petrus Von Tricht
Quoi faire tandis que tout coule ?

« Quoi faire tandis que tout coule ? » de Petrus Von Tricht s’inscrit dans une tradition plastique où l’intime, le symbolique et le tragique se rencontrent, tout en dialoguant avec les grands questionnements de l’art moderne et contemporain.

Une scène d’intimité universelle

Au cœur de la composition, une figure turquoise, immergée dans une baignoire d’eau claire, laisse s’écouler une encre noire de ses yeux, qui se répand et se mêle à l’eau. Devant ce visage absent, un bateau de papier sombre, image poignante de l’impuissance et de la perte. Au-dessus, un nuage rose, fusion de chevelure et de pensée, envahit la partie supérieure de la toile – matérialisation du débordement intérieur, entre rêve et excès.

Résonances classiques et contemporaines

L’œuvre convoque l’héritage du symbolisme et du surréalisme : comme chez Odilon Redon, la couleur et la forme deviennent le vecteur d’un état psychique, tandis que la scène domestique bascule dans l’onirisme à la manière de Magritte ou de Toyen. Le nuage-chevelure, motif polysémique, rappelle les métamorphoses de l’identité chez Leonor Fini ou Frida Kahlo, où l’intériorité déborde littéralement du corps.

La baignoire, espace d’intimité et de vulnérabilité, fait écho à la tradition moderne de l’exploration de soi : on pense à Munch et à ses figures submergées par l’angoisse, ou encore à Louise Bourgeois, pour qui l’eau et le bain étaient des métaphores du retour à l’enfance et à la mémoire. Le bateau de papier, quant à lui, s’inscrit dans la longue histoire du symbolisme maritime : il évoque à la fois le voyage intérieur, la précarité de l’existence (cf. les lectures contemporaines du bateau comme métaphore du passage et de la fragilité), et la perte de l’innocence – ici, le naufrage de l’espoir devant l’œil du protagoniste.

Pensée contemporaine : vulnérabilité et résilience

Dans le contexte de la pensée contemporaine, l’œuvre dialogue avec la notion de vulnérabilité (Judith Butler), c’est-à-dire la reconnaissance de l’exposition de soi au monde, de la porosité entre l’intime et le collectif. L’encre noire, qui trouble l’eau claire, matérialise la difficulté à contenir la douleur : ce qui déborde de l’individu contamine son environnement, rendant visible ce qui d’ordinaire reste tu. Le naufrage du bateau de papier devant les yeux du personnage souligne la perte des repères, la dissolution des refuges imaginaires, mais aussi la nécessité de faire face à cette débâcle : la question du titre, « Quoi faire tandis que tout coule ? », résonne alors comme une interrogation existentielle, à la fois individuelle et collective.

Un alphabet visuel personnel et universel

Fidèle à sa démarche, Von Tricht construit ici un alphabet visuel où chaque élément – la couleur, la forme, le motif récurrent du personnage – fonctionne comme un symbole à la fois autobiographique et ouvert à l’interprétation du spectateur. L’œuvre devient une preuve d’existence, un témoignage d’un état d’âme à un moment donné, mais aussi une invitation à la projection et à la réflexion partagée.

Conclusion

« Quoi faire tandis que tout coule ? » s’inscrit dans la lignée des grandes œuvres qui interrogent la condition humaine à travers le prisme de l’intime et du symbolique. Par la simplicité de sa composition et la force de ses métaphores, Petrus Von Tricht propose une méditation visuelle sur la perte, la résilience et la capacité à laisser émerger, même dans la débâcle, une forme de beauté ou de poésie. L’œuvre, à la croisée de l’histoire de l’art et des préoccupations contemporaines, invite à reconnaître la puissance expressive de la vulnérabilité et la nécessité de continuer à rêver, même lorsque tout semble sombrer.

Sigmund Von Sharpp
Paris, mai 2025

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