
D’un premier regard, « Out from grey » frappe par sa simplicité formelle et la force silencieuse qui s’en dégage. Le portrait stylisé, presque enfantin, d’un personnage aux yeux vides, à la peau grise et aux cheveux blancs, se détache sur un fond gris uniforme. Un unique élément coloré – une barrette bleue – vient rompre la monochromie, tandis qu’un col bleu pâle suggère une douceur ou une fragilité sous-jacente.
L’émergence de l’individu hors de l’indifférencié
Le titre, « Out from grey », invite à lire l’œuvre comme une métaphore de l’émergence de l’individu hors de l’anonymat, du flou, de la neutralité émotionnelle ou sociale. Cette sortie du gris, couleur de l’indétermination et de la norme, fait écho à la pensée de Norbert Elias sur la construction de l’identité : l’individu n’est pas un donné naturel, mais le résultat d’un processus social où il se distingue peu à peu du groupe, tout en portant les traces de cette appartenance. Ici, le visage sans regard, sans bouche, incarne à la fois l’universalité et la perte de singularité : il pourrait être n’importe qui, mais il est aussi, précisément, en train de devenir quelqu’un.
La question de l’identité à l’ère des non-lieux
La neutralité du fond et la stylisation extrême du personnage rappellent la notion de « non-lieu » développée par Marc Augé : ces espaces de transit, sans histoire ni identité, où l’individu devient anonyme, simple passant dans une société globalisée. Le personnage de Von Tricht semble surgir de cet espace indifférencié, comme une tentative de réaffirmer une présence, une existence propre, malgré la tentation de la dissolution dans le collectif ou l’indifférence contemporaine.
Références à l’histoire de l’art et à la culture visuelle
Formellement, l’œuvre dialogue avec le langage du modernisme et du minimalisme : on pense à Alex Katz pour la frontalité et la réduction des traits, ou à l’art brut de Jean Dubuffet pour l’expression d’une humanité élémentaire. Mais la douceur des contours, la palette sourde, et l’absence de regard rappellent aussi les figures mélancoliques de Modigliani, où l’âme semble absente ou en suspens.
La barrette bleue : signe d’espoir ou d’individualité ?
L’unique touche de couleur vive – la barrette bleue – agit comme un point de fuite, un indice d’individualité, de rêve ou de résistance à la grisaille ambiante. Elle suggère que, même dans l’indifférenciation, subsiste la possibilité d’un geste personnel, d’une affirmation discrète de soi. Ce détail fait écho à la pensée de Peter Sloterdijk sur la nécessité de se créer un « chez-soi » symbolique, même dans un monde globalisé et souvent déshumanisé.
Conclusion : entre anonymat et affirmation de soi
« Out from grey » est une méditation silencieuse sur l’identité contemporaine, tiraillée entre la tentation du retrait, de l’effacement, et le désir d’émerger, de se distinguer. Par la simplicité de son langage visuel, Petrus Von Tricht interroge la condition humaine dans un monde où la frontière entre l’individu et la masse, entre la couleur et le gris, entre le visible et l’invisible, devient de plus en plus ténue. L’œuvre invite à reconnaître, dans la plus grande sobriété, la puissance du détail et la nécessité de réaffirmer sa singularité face à l’uniformisation.
Sigmund Von Sharpp
Paris, janvier 2023
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