Petrus Von Tricht : Absurdité et Temporalité

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Ça fait 3 heures que j'attends le futur - Petrus Von Tricht

À propos de « Ça fait 3 heures que j’attends le futur » de Petrus Von Tricht

Avec « Ça fait 3 heures que j’attends le futur », Petrus Von Tricht livre une pièce de street-art à la fois désarmante de simplicité et d’une acuité critique remarquable. Sur un mur urbain, un personnage naïf, pieds nus, vêtu d’un t-shirt Sonic Youth, est assis, la bouche ouverte, dans une posture d’attente désabusée. Au-dessus de lui, la bulle manuscrite énonce : « Ça fait 3 heures que j’attends le futur. »

L’attente comme condition contemporaine

L’œuvre capte l’essence d’une génération suspendue, oscillant entre l’ironie et la mélancolie. L’attente du futur, transformée en expérience absurde, rappelle les figures de l’absurde chez Samuel Beckett – « En attendant Godot » – où le temps s’étire dans une vacuité existentielle. Ici, le futur n’arrive pas : il se fait désirer, il se dérobe, il se dissout dans le présent. Von Tricht met en scène cette temporalité flottante propre à l’ère postmoderne, où l’accélération du monde s’accompagne d’un sentiment d’immobilité intérieure.

Culture pop et désenchantement

Le t-shirt Sonic Youth, clin d’œil à la culture alternative et à la jeunesse désabusée, ancre la scène dans une histoire de la contre-culture : celle qui, autrefois, promettait la révolution ou la fuite hors du système, mais qui se retrouve ici figée, en attente elle aussi. Ce détail renforce la tension entre l’énergie potentielle de la jeunesse et la stagnation du contexte social.

Le mur comme espace de projection

Le choix du street-art n’est pas anodin : le mur, support brut, devient le théâtre d’une parole collective, d’un cri silencieux partagé par tous ceux qui passent. La phrase, à la fois banale et vertigineuse, résonne comme un slogan existentiel dans l’espace public, à la manière des aphorismes urbains de Jean-Michel Basquiat ou des interventions de Banksy, qui utilisent la rue pour révéler l’absurdité ou la violence du quotidien.

Références philosophiques et sociétales

Cette œuvre dialogue avec la pensée de Jean Baudrillard sur l’hyperprésent et la perte de repères temporels dans la société contemporaine : le futur devient un simulacre, toujours annoncé, jamais advenu. Elle fait aussi écho à la notion de « placelessness » (Marc Augé), où l’espace urbain, saturé de signes, devient le lieu d’une attente sans fin, d’une quête de sens qui se heurte à la vacuité.

Conclusion : une poésie de l’attente et de la lucidité

« Ça fait 3 heures que j’attends le futur » est une œuvre faussement légère, qui, sous l’humour, interroge la condition d’une jeunesse en suspens, confrontée à l’incertitude et à la lenteur d’un avenir qui tarde à se dessiner. Par la simplicité de son trait et la force de son message, Petrus Von Tricht rappelle que l’attente du futur, loin d’être un simple passage, est devenue un état permanent de notre modernité – à la fois absurde, poétique et profondément humain.

Sigmund Von Sharpp
Paris, février 2025

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